En pleines dérives contraires, la Tunisie est passée brusquement de la sous-autorité d’une transition démocratique malmenée à la sur-décision et à la sur-autorité de l’état d’exception, décidé un 25 juillet 2021, incarnant un autoritarisme qui s’appuie sur une certaine idée du droit. Rongée par l’indécision, qui s’est propagée dans toutes les sphères politiques, affectant acteurs et institutions, la démocratie tunisienne est parvenue au stade de l’agonie dix ans après une « douce » révolution. Pour sauver l’autorité de l’État, en perdition, une démarche de type décisionnel était tout indiquée, mais dans le respect de la diversité et du pluralisme des valeurs. Un décisionnisme équilibré et attentif, déclinant tout abus ou extension, exclusion ou exception, s’interdisant de céder à une seule autorité la totalité des pouvoirs. En effet, « l’état d’exception, aussi nécessaire soit-il parfois, conduit irrémédiablement à la démesure. Il conduit par nature à la confiscation des pouvoirs, à la suspension de la règle de droit, à la suprématie du pouvoir décrétal, à la non-hiérarchie des normes, en un mot, à la violence. L’état d’exception est une dictature provisoire qui s’étend souvent dans une sorte de dictature durable face aux résistances et aux circonstances politiques imprévisibles. » Dans un débat fécond et intransigeant avec la pensée de Carl Schmitt, le théoricien du décisionnisme, l’auteur interroge les dérives tunisiennes vers un inconnu. Ce qui le conduit à repérer les conditions de possibilité de la formation d’un État viable, solide, garant des libertés, bref, un État raisonnable. Hatem M’rad est professeur de science politique à l’Université de Carthage. Il est président fondateur de l’Association tunisienne d’études politiques (ATEP) et directeur de la Revue tunisienne de science politique (RTSP). Auteur de nombreux ouvrages, il a notamment publié Libéralisme et anti-libéralisme dans la pensée politique (Paris, Éditions du Cygne, 2016).